Nous voudrions être ceux qui portent les mots de Bernard-Marie Koltès
au jour d'une honte qui dérange. Nous voudrions que les spectateurs
assis, passifs et tranquilles sortent dehors et regardent, à leur
tour leurs presque semblables : ces hommes perdus, tombés en désespoir,
les créatures sans défense de la forêt urbaine ou
de la jungle des villes comme on voudra, tombées dans la solitude
des bêtes, pour qu'ils les regardent comme des hommes .Un hommes
seul sur scène à la recherche d'un autre qu'il ne voit pas
dans la pénombre et qu'il apostrophe dans un long monologue, comme
s'il voulait en s'accrochant à cet autre se retenir de disparaître
lui-même. S'il est étranger ou non, là n'est pas la
question. Il est seul et cette solitude est sa première différence.
Il nous parle de tout ces gens qui sont de nulle part. Qu'il soit blanc,
noir ou jaune cela n'a pas d'importance, le fait est que tout individu
n'entrant pas dans un groupe, un clan, une famille est un étranger
parcequ'il est seul.
Cette pièce est avant tout un énorme travail d'acteur où
la direction du jeu est primordiale si on veut laisser respirer naturellement
la langue de Koltès. Ce n'est pas à la rencontre d'un personnage
que va le comédien mais à la rencontre d'une multitude d'autres
lui-même. Nous essaierons tout en respectant scrupuleusement l'oeuvre,
de restituer l'extraordinaire richesse de ces multiples facettes du personnage
qui se révèlent tout au long de ce monologue. L'espace infini
et désolé sera celui d'un entrepôt désaffecté
avec son quai de déchargement en guise de scène et ses plans
inclinés d'où le comédien pourra s'élancer
pour conquérir l'espace immense et vide. Le sol de la scène,
traversé par des chemins
(façon chantier pour créer l'impression d'un espace instable,
en devenir, à l'image de ces interzones urbaines où se croisent
les hommes perdus à la tombée de la nuit). Marie Pierre Homn
Note d'intention"La
Nuit Juste Avant Les Forêts"
Ici, dans cette ville comme dans cent autres villes de province que Bernard-Marie
Koltès connaissait bien lui qui vécut longtemps à
Metz, les nouveaux arrivants se sentent étrangers, dévisagés,
déplacés, inconnus, malvenus. Leur façon de regarder
signe cette étrangeté : cette façon de quêter
de l'amitié dans le regard d'autrui. Ici, cela ne se fait pas.
Les gens ne parlent pas aux inconnus. Alors les nouveaux arrivants cessent
de lancer leur bonjour en l'air pour rien et finissent pas se taire et
par prendre cet air lointain qu'ont les gens quand ils sont là
depuis longtemps. Et si leur peau ou leur langue sont vraiment différentes,
alors les étrangers se retrouvent parqués dans les cités,
à l'écart du centre. Et ils y apprennent la solitude. Celle
qui guette et hante ceux qui ne sont pas tout à fait pareil. C'est
cela "La Nuit Juste Avant les Forêts", la plus profonde
solitude n'est pas dans les campagnes où les bois déserts
mais bien dans ces villes où tant d'hommes se croisent sans se
voir. Est étranger celui qui n'en peut plus de se taire, qui n'en
peut plus d'accepter que les regards des autres le traversent comme s'il
était du verre.
Rien ne doit être révélé du tabassage qu'a
subi cette homme jusqu'à la dernière minute de la représentation
mais le spectateur doit à la fin de celle ci tout connaître
de cet homme. Et être surpris par la révélation finale
qui lui donnera une clef nouvelle pour décrypter à l'envers
la totalité de l'histoire et lui rendre toute la profondeur du
symbole.